- Cher Roger,
- par Paul Le Bohec
-
- Ainsi, tu t'ajoutes à la liste des capitaines
expérimentés qui ont quitté le navire
après l'avoir mené si souvent à bon port.
Mais je suis encore là et je puis, moi aussi,
témoigner de l'importance de ton action.
- Tu as été surtout un démultiplicateur.
Sans toi, la Pédagogie Freinet n'aurait pu devenir à
ce point internationale. Il fallait que cette idée soit
solidement accrochée en toi pour réussir,
malgré les difficultés de tous ordres, à
mettre au point les Rencontres Internationales des
Éducateurs Freinet (RIDEF). De l'extérieur, on avait
l'impression que tu réalisais cela en te jouant, mais, une
certaine année, j'avais pu prendre conscience de
l'énorme travail que cela représentait. Il fallait
prendre contact, proposer des rapprochements, aider à la
constitution de réseauxÉ Heureusement,
- ta connaissance de plusieurs langues étrangères
t'aidait beaucoup dans cette réalisation de communication.
- Mais cela n'empêchait pas qu'il te fallait une
conviction profonde et un engagement de tout ton être pour
que les fils se nouent et que les choses s'organisent
harmonieusement. Le travail que nous réalisions dans ces
RIDEF a permis de solides avancées sur le plan de la saisie
et de la compréhension des éléments de notre
pédagogie. Ces rencontres étaient le lieu et le
moment de solides échanges mais, également,
d'audacieuses expériences. Nous arrivions parfois à
impliquer des gens de diverses nationalités dans des
apprentissages. Et à cette occasion, pouvoir
vérifier la validité des concepts de notre
pédagogie en dehors du système français,
permettait d'en confirmer la valeur. Je me souviens tout
particulièrement de nos voyages à Berlin-Est et au
Québec. À Berlin, tu avais ri quand j'avais dit au
directeur de L'École Supérieure de Pédagogie
qu'ils n'étaient pas marxistes. Réponse:
«Comment, nous ne sommes pas marxistes, alors qu'après
la chute du régime nazi, nous avons remplacé tous
les enseignants par des ouvriers!» Et le texte que tu avais
écrit en allemand sur le livre d'or de l'école
technique que nous visitions avait été l'occasion du
rire et de l'admiration de tout le personnel de
l'établissement. Cela me permet d'insister sur deux points
particuliers de ta personnalité: tu avais beaucoup d'humour
mais, également, beaucoup d'esprit. L'humour met à
distance et c'est parfois bien utile, mais l'esprit permet de
construire. Et nous en avions singulièrement besoin.
- Cher Roger, nous étions tous deux complices parce que
nous avions en commun l'amour des mots. Aux Journées de
Vence, tu participais supérieurement aux séances de
création collective orale. Cependant, au Québec, tu
nous avais étonnés. Nous étions quatre
intervenants: toi, Monthubert, Delobbe et moi. Et nous
étions chacun responsable d'un groupe que nous devions
faire travailler selon nos propres dominantes. Lorsque j'ai appris
que tu faisais réaliser des diapositives dessinées
à tes stagiaires, je me demandais quel rapport pouvait bien
avoir ce travail avec la Pédagogie Freinet. Mais lors de la
séance collective finale, nous avions été
ébahis de la cohérence de votre entreprise. Tu avais
beaucoup d'avance sur nous sur le plan du traitement de l'image.
- Tu abordais avec maîtrise des domaines que nous
ignorions encore. Et tes nombreux portraits photographiés
étaient stupéfiants d'authenticité et
d'humanité.
- Pour terminer, un dernier souvenir. Au tout début d'une
séance où je devais parler du tâtonnement
expérimental, et en attendant que les gens finissent de se
mettre en place, tu m'avais provoqué: «Le grand
professeur Le Bohec, doyen de la Faculté Freinet va
procéder à la démonstration de la formule :
relativité des sensations / canal maritime = 1 .»
- Et les Québécois étaient suffoqués
de voir comment ces deux maudits français pouvaient
s'amuser à de tels jeux intellectuels.
- Voilà, cher Roger, tout ce que j'avais à dire
à ton propos. Au revoir.
- Paul Le Bohec, paul.lebohec@wanadoo.fr