- Extrait du livre de Paul Le Bohec
- L'école, réparatrice de destins ? page
190
- juin 2008
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- Les enfants
- Dans un premier temps, logiquement, nous nous sommes donc
souciés du maître. Intéressons-nous maintenant
aux enfants. Ils arrivent dans cette classe Freinet. Eux non plus
ne savent pas ce qu’ils pourraient attendre de l’école et,
même, qu’ils pourraient en attendre quelque chose. Ils
ignorent d’ailleurs ce qu’ils cherchent. Certains d’entre eux ne
savent pas que leur situation n’est pas aussi
désespérée qu’ils seraient tentés de
le croire. Comment, d’ailleurs, pourraient-ils le savoir ?
Mais le maître peut l’espérer pour eux. Cependant,
c’est à eux qu’il reviendra de construire leur chemin, le
maître ne pouvant leur offrir qu’une grande quantité
de possibilités de se rapprocher au plus près de ce
qu’il leur est profondément nécessaire. Mais
qu’est-ce qui leur est profondément
nécessaire ? Comment le savoir ? Le maître
est vraiment démuni sur ce point. Cependant, il peut
essayer de proposer large en espérant qu’étant
donné ce qu’il est ou ce qu’il a été devenu,
chacun pourra trouver un point d’appui pour se redresser ou pour
trouver une voie qui pourrait lui être
bénéfique. C’est dans ce sens que j’ai essayé
de commencer à chercher un début de réponse
à “Ce que cherche l’être humain” dans une
série d’articles de Coopération pédagogique,
la revue interne du Mouvement Freinet (2004). Je me suis
demandé quelles peuvent bien être les motivations qui
nous poussent à vouloir continuer à vivre et
à chercher à tirer pour soi le meilleur de
l’existence. Pour l’instant, j’ai dégagé une
série de onze verbes qui, certes, ne recouvrent pas
tout, mais permettent cependant d’entrevoir des solutions
pédagogiques aux désirs que tous les êtres
humains porteraient en eux, à savoir : “Survivre,
exister (être reconnu, compter pour quelqu’un), risquer,
régresser, montrer, voir, subir, salir, revivre pour
réparer (rattraper) ou pour re-jouir.” Ces verbes sont
chargés de potentialités diverses, dangereuses
lorsqu’elles sont poussées à l’extrême :
autoritarisme, machisme, sadisme, masochisme, exhibitionnisme,
voyeurisme, infantilisme, violence, vengeance, fuite dans
l’extrême, comportements suicidaires... À mon avis,
l’école devrait prendre en compte ces tendances et en faire
des outils de bonheurs en permettant l’utilisation de formes
suffisamment acceptables par la société pour que ni
elle, ni les individus n’en pâtissent. Si, par exemple,
l’impérieux désir de voir peut se sublimer en une
activité d’observation scientifique, tout le monde ne
pourra que s’en réjouir, et le voyeur, le premier. Et le
sadique sera sculpteur. Si l’on peut vivre à plein les
choses, si on découvre des drogues de vie telles que
l’écriture, les arts, la création, l’expression, la
rencontre, le partage, l’association, l’organisation,
l’engagement, la responsabilité, le sport, la musique, le
théâtre, la recherche, la symbolisation, la
sublimation... si on peut se réaliser, soi, on aura
beaucoup moins besoin de recourir à ce que Freinet appelait
des solutions ersatz telles, qu’à défaut, les
drogues de fuite ou de mort.