rattraper
par Paul Le Bohec
 
Mais évidemment c'est ne regarder les choses que par le petit bout de la lorgnette. C'est infiniment plus profond. Combien de fois on se dit : "Ah! si j'avais fait cela au bon moment". Evidemment, la plupart du temps, on ne peut plus changer les choses, faire que le petit frère n'ait pas à regretter votre départ, revenir de l'exil par une tactique de maladie, éliminer l'oppression que l'on a subie, faire renaître un objer d'amour, retrouver la maison détruite, reconstruire une oeuvre originale définitivement effacée.... Cependant, il y a plusieurs recours possible. Lors de ma participation à plus de quatre cents "co-biographies", j'ai pu découvrir tout un arsenal de tactiques de rattrapage : une animatrice qui avait été persécutée par une maîtresse de couture avait tenu à établir un atelier de couture dans sa structure d'animation. Un orphelin avait créé un orphelinat ; une femme battue, une structure d'accueil des femmes battues ; une ancienne droguée une aide aux droguées. En tant qu'enseignant dans un I.U.T-Carrières sociales, j'ai été confronté à des quantités d'investissements de ce type. Et mon propre engagement dans la pédagogie Freinet a certainement pour source ce que j'ai vécu à l'école et la blessure de l'âme que j'ai reçue à douze ans quand, à l'occasion de mon départ en exil, j'ai découvert l'amour que me portait mon petit frère. Si bien que j'ai toujours travaillé pour les 6 à 9 ans et ce qui en restait dans les 18-35 ans que j'ai connu par la suite.
Oui mais, de telles réalisations pratiques ne sont pas encore possibles au niveau de l'école. Heureusement, il reste ce merveilleux recours à l'imaginaire.
Il y a tout d'abord, me semble-t-il, une sorte de rattrapage d'une ancienne sérénité, de l'équilibre que l'on connaissait, " avant". On raconte ce qui est arrivé sous une forme ou une autre. Et certains textes ont alors une tonalité dramatique.
Par écrit : la douleur de l'exil, très loin de la maison : "J'ai rencontré un petit oiseau On s'est parlé de nos parents qui sont disparus.etc..."
La famille à vau-l'eau :"Le monde était plein de catastrophes..."
Le père injuste" C'est un clown à la noix de coco..."
La peur de "Petit Jean-Lou" rester petit : "Le petit géant pleure dans les bras de sa mère. -Regarde en bas - Non, j'ai le vertige."
"La blessure avec un couteau dans la cave.
Oralement, le divorce des parents : "La vache et le cochon faisaient toujours la bagarre.etc..."
"Oralement : Une vie infernale à la maison :
"J'étais bien au chaud dans la neige. Mon père est sorti avec une tranche. Il a creusé la neige. Il m'a coupé la tête et je ne pouvais plus parler ; une main, l'autre main, les deux pieds et je ne pouvais plus bouger."
En chantant : l'horreur d'une corrida.
En maths : une souffrance : "J'ai un problème : j'ai 10 x et 5 y : Je coupe les pattes à 5 x et je noie les cinq y"
Par le dessin pour plusieurs enfants : La mort de la petite soeur. La maladie de la mère. L'inconvénient d'être étrangère. Le dommage de la pauvreté. La haine d'un prêtre. Le dépit de la faiblesse devant la puissance des forts. ...
Mais on ne se contente pas d'exprimer sa situation malheureuse, on agit pour qu'elle se transforme, en parlant : "Je n'aime pas mon petit frère. Je l'emmènerai à la boucherie ou, plutôt, non, je le mettrai dans unse cabane à lapins, je lui donnerai de l'herbe et quand il sera assez grand : Tec! "
"Non, ce sera lui qui sera tué et mangé pour le méchoui.!"
Par écrit : "La petite souris fait peur au gros chat."
Il arrive des quantités de mésaventures à la vieille mémé à moto (le père qui a trente ans de plus que la mère).
Oralement : L'enfant unique rêve d'une île pour lui et ses copains. Le faible d'une famille nombreuse rêve d'une île pour lui seul.
Paul Le Bohec