- régresser
- par Paul Le Bohec
-
- Pourquoi ce verbe, maintenant ? Lorsque j'ai commencé
à penser que l'école devrait essayer de
répondre à la demande profonde des enfants en allant
dans le sens de leurs pulsions, je n'ai établi aucune
hiérarchie entre les différents verbes. A part,
"survivre" qui était la condition sine qua non, tous
étaient d'autant plus à égalité qu'ils
étaient assez profondément reliés entre eux.
Cela doit être pour mieux me les rappeler que j'ai
constitué des doublets : survivre-exister, montrer-voir,
subir-salir...etc. Et risquer-régresser allaient
phonétiquement bien ensemble.
- Il semble d'ailleurs que la régression ne concerne
guère l'école primaire puisque c'est essentiellement
un phénomène d'adulte. Il faut, en effet, avoir
vécu pour revenir en arrière. C'est ce qu'exprime le
psychothérapeute Georges Mauco quand il écrit :
- "Je ne connais rien de plus émouvant que de voir un
homme de quarante ans exprimer, avec des sanglots de
bébé, un chagrin de l'enfance qu'il n'avait pas pu
évacuer avant. " - Aussitôt, on se met à
penser que s'il l'avait fait au niveau du primaire, ce sont trois
décennies de souffrances qui lui aurait été
épargnées. -
- Mais n'anticipons pas. Je veux m'arrêter un instant sur
une formule qui me semble d'autant plus vraie que j'ai pu en
vérifier l'extrême pertinence en ce qui me concerne :
"L'enfant dicte, l'adulte écrit." Je l'entends ainsi : ce
sont les situations d'enfance qui déterminent, au moins
pour une très grande part, le cours d'une vie. Cependant,
au niveau du primaire, le texte à dicter n'est pas encore
au point car, à ce niveau, tout n'est pas encore
achevé, l'enfance étant encore en cours de
constitution. Gisèle Page disait : "Je n'en reviens pas de
voir ces garçons de douze ans faire ce que mes petits de la
maternelle font régulièrement. Il faut croire qu'ils
n'en avaient pas encore eu l'occasion." N'est-ce pas ce dont il
faudrait se préoccuper : permettre toutes les
expériences qui s'imposent aux différents
âges, afin que la construction soit harmonieuse ?
- Mais creusons un peu plus notre verbe. "Régresser",
c'est retourner à une situation antérieure de
développement. C'est ce qu'essaie de faire toutes les
thérapies : psychanalyse, rebirth, cri primal,
psychodrame...pour, en remontant à la source, sortir
l'individu de l'impasse et le remettre dans un plus droit chemin.
Il est évident que nous n'avons rien à faire de ce
côté-là. Nous avons seulement à
permettre aux enfants l'accession aux divers langages en les
mettant ainsi en situation d'être leur propre
thérapeute, s'ils en ont envie et s'ils se trouvent en
suffisante sécurité pour tenter de le faire.
- Il est indéniable qu'en utilisant à la maison le
langage-bébé pour parler à leur doudoune,
à leur petit chat, à leur petit frère, les
enfants retournent à un stade infantile. Lorsque Patrice (7
ans) écrit : "Le chat ne sait pas parler. Chat, veux-tu
parler ? - Comment parle-t-on ? - Tu as parlé, c'est comme
ça - Oui ? C'est comme ça ? Alors je sais parler
maintenant.", il se détriple. Il sait bien qu'il reste le
petit garçon qu'il est, mais, en même temps, il est
le personnage qu'il joue et il s'identifie de plus à
l'autre afin de pouvoir dialoguer. "Ainsi "un ego alter" (autrui)
devient un "alter ego""(autre soi-même) dont on comprend
spontanément sentiments, désirs, craintes"
(E.Morin)." Voici un autre texte de Patice : Mademoiselle sait
tout, mais elle ne sait rien - Alors, vous savez lire , - Non,
mais je sais faire dodo."
- L'enfant peut écrire ces textes en toute
tranquillité puisqu'il s'agit de "textes libres". Chantal
(9 ans) se sent également libre d'écrire :
- "Ma chaussure, je, je, peux, peux, pas l'attraper. J'ai, j'ai,
peur, peur, de déraper des escaliers. Ma drôle de
chaussette noire. Ma drôle de chaussure, je peux, peux, pas,
i, i imaginer. Ma chaussure, elle, elle, m'a, m'a, pincée.
Mé, mé, chante chaussure"
- Mais on peut écrire plus "profond".Voici de Jacques (8
ans), un texte "à lire et à garder et à
emmener où que vous voudrez "
- "Un jour, j'étais petit, j'étais allé
à l'école maternelle. J'avais quatre ans.
J'étais parti à la maison. J'avais rencontré
un camarade. Il m'avait dit : Tu n'as pas peur ? - Si - De quoi ?-
Des cauchemars - Ah! oui, c'est vrai."
- Mais ma soeur arriva. Elle me dit : "Reste là - Oui."
Alors je m'ennuyais. J'étais triste. Un monsieur m'amena
chez moi. Ma soeur n'arrivait pas. J'étais inquiet
après elle. J'avais peur, j'étais malheureux."
Joël (8 ans)
- Voici maintenant une improvisation enregistrée :
- "Je marchais, je marchais, tout triste sous les gros nuages.
Et voici que j'ai trouvé une jolie grotte où se
trouvait un petit lit. J'ai dormi dans ce petit lit.
J'étais bien au chaud. Et j'ai rêvé que les
étoiles étaient sur mon ventre. Et j'étais
content d'avoir mon petit coeur. " Jacques (8 ans).
- Quand on sait que le théme de la grotte est
régulierement utilisé dans la thérapie du "
rêve éveillé dirigé", on pourrait
penser qu'il s'agit ici de la nostalgie de la vie
intra-utérine. Mais qu'importe. Dans une classe
expression-création, tout ce travail de régression
doit s'effectuer souterrainement sans que personne ne le sache, et
à l'insu même des auteurs. Il en est de même
des petites pièces de théâtre et de diverses
techniques que l'on utilise ou que l'on invente. C'est pourquoi,
au total, dans ce chapitre, nous n'avons pas grand chose à
nous mettre sous la dent. Il ne nous reste plus qu'à
tourner la ....
- Oui, mais, dans cette affaire, est-ce qu'il n'y a pas tout de
même un adulte : le maître qui est constamment
présent et qui a un rôle considérable à
jouer. Mais se trouve-t-il ex-abrupto en situation de se mettre au
niveau des enfants ? Pour entrer à l'I.U.F.M., il faut
avoir au moins la licence. En fait, ce sont souvent maintenant des
Bac+5, des D.E.S.S, des D.E.A....Leur savoir accumulé les
font-ils automatiquement prêts à enseigner. Oui, bien
sûr, si l'on considère qu'ils ont le savoir et
pourraient le transmettre. L'ennui, c'est qu'il ne s'agit plus
maintenant de transmettre le savoir mais d'aider à son
acquisition et de mettre les enfants en marche. Pour cela, ceux-ci
ont besoin d'un partenaire qui puisse se mettre à leur
niveau. Il faut donc que l'enseignant descende de ses hauteurs et
régresse pour se mette en mesure de redevenir "sujet" en
capacité de communiquer avec des "sujets". Cela doit
être tout de même possible puisque qu'il m'arrive de
rencontrer de frais émoulus l'I.U.F.M. encore à peu
près vivants. lls peuvent prendre de sérieuses
responsabilités d'adulte et être capables
également, de se trouver de plain-pied avec leurs
élèves. Ils ont su ou ils ont pu conserver leur
parcelle d'enfance et savent la regagner automatiquement quand il
le faut.
- Mais c'est trop peu de quelques-uns, il est urgent de
travailler sur un plus grand nombre. Il appartient aux formateurs
de permettre aux étudiants de retrouver par moments un
état d'enfance. Il faut qu'il y ait une prise de conscience
intellectuelle de la nécessité de prendre en compte
la vraie nature de l'homme qui est non seulement homo mais
homo-sapiens-demens.. Cela tous les formateurs peuvent le
comprendre et le communiquer parce que tous les scientifiques le
disent - Lorentz parle même de homo-ludens-sapiens. - Mais,
au cours des études, les jeux de l'enfance n'ont-ils pas
été totalement oubliés. Il se peut qu'il y
ait de nombreux moyens d'y revenir. Je connais au moins un moyen
de réussir parfaitement dans ce domaine : la libre
écriture collective.(La brochure "Ah ! vous écrivez
ensemble!" se trouve sur le site :"freinet : //org")
- L'être humain étant partout l'être humain,
je l'ai vu fonctionner partout : en France, Italie, Espagne,
Allemagne, Belgique, Suisse, Russie, etc. Elle répond
totalement à la demande de remise en état de
"sujet". On fait tourner des feuilles et chacun ajoute au passage
ce qu'il veut en absolue liberté. Cependant, comme j'ai
animé plus d'un millier de séances de ce type, j'ai
tout de même vu constamment réapparaître les
mêmes phénomènes. J'ai détecté
en particulier la source de nos rires homériques. Ils
apparaissent toujours lorsqu'on s'attaque aux tabous de la
société. J'en ai repéré cinq : la
folie, le sexe, les excrétas, la loi, la mort. Le travail
collectif en feuilles tournantes assure un totale anonymat et,
donc, une totale impunité. Aussi, on y va de bon coeur : on
rattrape son retard, on dérègle le langage, on se
vautre dans l'absurdité, on prend le sexe par tous les
bouts, on retourne au stade infantile du pipi-caca, on se
libère de toute autorité, on se rit de la mort. Et
on se libère de tout ce qu'on a retenu, de tout ce qui nous
a étouffé de n'avoir pas encore été
dit. Et quand on ressort de la séance, c'est comme si on
avait fait une marche de 10 km. On respire à fond, on a
même récupéré une santé, toutes
les poussières de petites émotions vécues
ayant produit des endorphines.
- Mais il convient d'ajouter que cette activité en
apparence puérile nous ouvre des perspectives telles qu'on
a toujours envie d'y revenir. En effet, chemin faisant, on se
délecte de bonheurs d'écriture, on connait des
moments de grâce poétique, on sort de ses routines
d'expression, on découvre des domaines
insoupçonnés, des thèmes personnels se
précisent, des pistes se dégagent, on a toutes les
audaces, on descend au niveau zéro pour remonter vers des
sommets, on frôle la philosophie, on bénéficie
des façons d'être des autres, on agrandit ses
espaces, on s'agrandit soi-même en dehors de toute
intention, de tout projet, le seul projet étant de ne
jamais en avoir mais de se projeter dans l'avenir dans une
incroyable atmosphère de liberté. Et " C'est quand
on ne sait pas où on va qu'on va le plus loin."(Raymond
Renaud Art brut)
- Voilà, entre autres choses, ce que les profs d'I.U.F.M.
devraient faire vivre à leurs étudiants. Oui mais,
comme le disait déjà Diderot, qui formera les
formateurs ? Une seule solution : comme nous avons
été nous-mêmes dans l'obligation où
nous nous trouvions de nous former à une nouvelle vision de
la pédagogie, ils doivent se co-former entre eux. Pour
cela, il faudrait vraiment qu'ils prennent conscience de cette
nécessité pour les enseignants de se mettre au
niveau de leurs élèves. Espérons que, quelque
part, une équipe s'engagera sur cette voie et fera tache
d'huile. Comme nous le constatant avec les P.E.3, P.E.4...cela
marche à tous les coups. La pédagogie ferait des
bonds en avant si cet accès au joyeux retour d'enfance
pouvait se généraliser.
- Paul Le Bohec
-
On aime retrouver des nourritures anciennes ou des mots
énciens comme lapin, chat etc.Au niveau de l'école,
c'est certainement moins perceptible qu'au niveau adulte car la
petite enfance est beaucoup plus éloignée. Et, en
classe nous sommes trop préoccupés pour nous y
arrêter. Et c'est d'ailleurs tant mieux que cela se passe en
dehors de nous. Et, de plus, ce retour au passé doit se
placer au niveau de l'inconscient où évidemment nous
n'avons rien à faire d'autre que de fournir les langages
que l'enfant utilise à son gré, sans même
savoir ce que cela recouvre.
- Cependant, on sent bien que si les productions enfantines sont
nourries comme elles le sont, c'est elles ont tout un continent
enfoui à explorer de mille manières. Et l'on sent
bien ce qui pourrait affleurer pour peu qu'un vent de
sécurité ait balayer bien des nuages.Cela se traduit
au niveau de l'écrit par des histoires, des contes avec
pour héros un jeune enfant, si possible du sexe
opposé pour accentuer le camouflage. Mais mieux encore, il
peut s'agir d'un jene animal ou même d'un objet tellement la
symbolisation offre des perspectives infinies.
- Je n'ai sous la main en tant que documents d'illustration que
quelques textes. Voici par exemple l'écho d'un comportement
de bébé hésitant, peu sûr de
lui-même.
- "Ma chaussure, je, je, peux, peux pas l'attraper.
- J'ai, j'ai peur, peur de déraper des escaliers.
- Ma drôle de chaussette noire.
- Ma drôle de chaussure , je peux, peux, pas i,i,
imaginer.
- Ma chaussure, elle, elle m'a, m'a pincée.
- Mé, mé, chante chaussure."
- Chantal (C.M.1)
- Voici également une "Présentation de la classe"
:
- Pascal-bocal...Marie-Cristine-coquine...Thierry-ouistiti...Antonio-
rigolo...Martine-tartine...Gisèle-vaisselle...Ginette-girouette...Françoise-framboise...Guy
Le Guen-reine...Patrick-tricycle...Yvette
-vêtements...Jacques-craque...La
Maîtresse-tresse...etc."
- Antonio (C.M.1)
- Mais il semble que l'essentiel se trouve dans les jeux, dans
les saynètes inventées, dans les comportements
foufous où on a le droit de revenir en arrière sans
crainte d'être jugé car c'est très clair que
c'est entre parenthèses et que ce n'est que pour rire.
- Oralement, que de jeux sur la langue, de simulations de voix
diverses parmi lesquelles des voix de bébé. Pour peu
qu'on en ait la liberté. A l'école, on peut placer
cela sous le chapitre : expérimentation, création
alors que sans doute souvent sous l'angle projection que l'on
pourrait les entendre si on éprouvait le besoin de s'y
attarder. Cependant, lorsque certaines conditions de
sécurité sont assurées il semble que les
enfants peuvent aller plus loin devant le magnétophone :
- "J'étais tout petit, j'étais dans ma grotte,
j'étais sur mon petit coeur."
- Le dessin permet également de se défouler si
l'on en a envie; et le théâtre et que sais-je encore.
L'essentiel est de savoir que ça peut exister, que les
enfants peuvent refaire leurs chemins mais cela ne nous regarde
pas.
- Pourtant faudrait-il penser que les enfants sont dans une
impasse parce qu'ils ne savent rien de leur avenir et que leur
recherche ne peut concerner que leur passé ? Comme si, en
cherchant à se retrouver au point où leur vie s'est
inscrite dans la réalité, il n'aurait pas le
désir de s'imaginer ce qu'un autre chemin, ou plusieurs
aurat pu être.
- Nous y reviendrons nécessairement. Pour l'instant,
contentons-nous de favoriser l'expression-création.