survivre
par Paul Le Bohec
 
Le suicide des jeunes est l'un des phénomènes les plus révoltants de la société d'aujourd'hui. Après les accidents de la route, c'est la deuxième cause de mortalité des jeunes. Comment peut-on en arriver là alors que la tendance fondamentale de tout être vivant est de tout faire pour survivre ?
On sait maintenant que ce drame se produit à la suite d'un excès d'humiliation, de marginalisation, de dévalorisation, de difficulté à communiquer, d'épreuves trop fortes (abandon, séparation, divorce, deuil...). Mais comment se fait-il que ces accidents de vie n'aboutissent heureusement pas nécessairement au renoncement définitif ?
La nécessité d'une parole est, semble-t-il, un élément incontournable. Maintenant, dès qu'un événement grave s'est produit, on se préoccupe immédiatement de créer une cellule de soutien qui a pour fonction essentielle de permettre d'en parler. A l'école, c'est chaque jour que l'on peut mettre à la disposition des enfants qui en éprouveraient le besoin, un bon échantillon de langages : écrit, oral, chant, dessin, corporel, mathématique, audio-visuel, informatique...
Mais elle peut également initier à quelque chose de plus profondément inscrit dans l'être. Je veux parler de la passion qui est ce qui peut favoriser au maximum l'envie de continuer à vivre. Ceux qui ont pu s'y inscrire assez tôt y trouvent le moyen de faire face sans problème aux moments difficiles : passion de la connaissance, de la découverte, de la création, de l'écriture, du dessin, de l'art, de la musique, de l'échange, de la relation, de l'effort sportif, de la lutte, de l'engagement, de l''organisation d'activités, de l'animation de débats, de la prise de responsabilités, de l'aide aux autres... On a maints exemples d'individus qui ont réussi leur vie parce qu'ils se sont installés très tôt, par hasard ou par chance, dans une activité qui les a saisis ou dont ils se sont saisis. Généralement, au départ, c'est souvent dans le cadre de la famille que les choses s'inscrivent. Mais l'école peut également ouvrir tranquillement, simplement, sans grande démonstration, sans excès, sans outrance à des domaines qui ne sont pas de son ressort. Voici par exemple ce que m'en écrit Pierrick Descottes :
" En l'occurrence, je voudrais évoquer le cas singulier de Pedro, un garçon très chargé psychologiquement, hanté par les questions touchant à la mort et qui a de grandes difficultés à maîtriser ses impulsions. Les rares moments où il fait preuve de vraie concentration et de calme sont quand il dessine ou écrit librement. Autant dire qu'il investit fortement tous ces moments et bien d'autres encore, passant invariablement du dessin à l'écriture de manière quasi compulsive. Il a écrit, cette année, une multitude de textes souvent très noirs où la violence et la mort étaient omniprésentes. Ses dessins, toujours au stylo noir, étaient au diapason. Et puis, sur quelques instants de grâce créatrice, il nous a livré des poésies de toute beauté, avant de replonger dans ses affres. Côté dessin, il n'a jamais rien voulu présenter au groupe, se contentant d'amasser anarchiquement ses productions qui terminaient pour l'essentiel à la poubelle. Je me suis contenté de laisser faire de ce côté, parfois même sur des moments d'activité qui n'avaient rien à voir avec le dessin, convaincu que cela était nécessaire à son équilibre très instable.
J'ai la conviction que, sans cette liberté d'écrire ou dessiner presque à tous moments, Pedro pourrait littéralement disjoncter. On n'qen a pas été loin, bien des fois, mais il a pu être ainsi disponible pour d'autres apprentissages, même si cela s'est avéré très inconstant. Qu'adviendra-t-il pour lui au collège qui lui laissera certainement moins de liberté en la matière ?
Paul Le Bohec