- LA PART DU MAITRE
- Le texte libre
baromètre
- par P. Le Bohec
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- Pas de spécialité
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- Arrêtons-nous un peu, maintenant, à cette
aventure Loïc.
- Première constatation. l'instituteur peut aider
l'enfant. Mais, attention ! Il ne faut pas qu'il lui nuise.
je sens bien qu'il y a un risque à courir. Et nous nous
devons d'être très circonspects. Dans ce domaine de
la psychothérapie, l'instituteur ne peut aller loin parce
qu'il n'est pas assez informé. Il n'est pas un
spécialiste et il serait regrettable qu'il le devînt
car on a tellement besoin de lui dans les autres secteurs de
l'éducation ! Sa spécialité, c'est de ne
pas en avoir. Il ne peut donc rien faire à fond et, en
particulier, il ne faut pas qu'il se prenne pour un psychiatre.
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- Cependant, toute action pédagogique véritable
postule une grande connaissance de l'enfant. L'éducateur
« école moderne » est favorisé
sur ce plan. En effet, on lit parfois sur des traités de
psychothérapie :
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- « ... pendant trois mois, à raison de trois
séances par jour... »
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- Mais nous, nous avons l'enfant pendant 18 mois, à
raison de six heures par jour. Et, si nous pratiquons à
fond les techniques d'expression libre parlée,
chantée, jouée, écrite, graphique, manuelle,
dansée, mathématique, nous avons affaire en
permanence à l'enfant véritable et non à son
apparence. Aussi, même si nous ne sommes pas des
spécialistes, il nous suffit d'ouvrir les yeux et les
oreilles pour savoir beaucoup.
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- Deuxième constatation : si nous nous
intéressons sincèrement à l'enfant, surtout
quand il s'agit d'un « cas », nous sommes
presque toujours assurés de bénéficier de
l'appui des parents. Dans la vie quotidienne, nous avons beaucoup
d'occasions de les rencontrer et, au besoin, nous pouvons nous
déplacer. Il s'établit ainsi une collaboration
profonde entre les coéducateurs - ce que le docteur de
Mondragon a d'ailleurs toujours recommandé. Nous pouvons
ainsi appréhender l'enfant dans son milieu familial et
social.
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- Notre connaissance devient historique parce que nous sommes
informés de son passé. Nous avons ainsi une
idée de la trajectoire de vie enfantine.
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- Troisième constatation, très importante :
il existe une parfaite corrélation entre l'état
psychique de l'enfant et ses textes libres. En voici une
preuve :
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- Diagnostic infaillible
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- Vers la fin mai, Loïc avait connu « des hauts
et des bas ». Et les textes libres reflétaient si
parfaitement les états psychologiques du garçon que
c'en était à peine croyable.
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- Par exemple, si en entrant dans la cour, le matin, j'entendais
bégayer Loïc, j'étais certain qu'il
rédigerait un texte d'imagination quand nous rentrerions en
classe.
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- Mais je n'avais pas toujours l'occasion de l'entendre parler.
Aussi, il m'arrivait d'aborder son texte avant qu'il ait ouvert la
bouche. Si j'avais affaire à un texte d'imagination,
j'étais certain que l'enfant bégaierait lorsqu'il
parlerait. Et, pas une seule fois, mon pronostic ne s'est
trouvé démenti.
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- Par contre, les périodes de calme oral et écrit
coïncidaient exactement : à une élocution
saine correspondaient des textes libres objectifs. Il semble
qu'à ce moment l'enfant n'était plus contraint, par
son drame, de se recentrer sur lui-même ; il devenait
disponible pour le monde extérieur. Quelle
découverte torricellienne !
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- Mais cette loi s'est trouvée vérifiée une
seconde fois. En effet, dans ma classe, il y a un second
bègue. Mais, cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un enfant
dont on pourrait penser :
- « Ah ! s'il voulait ne pas s'énerver,
s'il voulait prendre son temps, il parlerait bien ».
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- Non, celui-là, c'est un vrai bègue.
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- « Mmmmmmmonsieur, jjjjjjje peux aller
pppppppeindre ? »
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- Ici, il s'agit d'un bégaiement extrême. Et
l'instituteur qui envisagerait la plus petite possibilité
d'une quelconque action thérapeutique ferait preuve d'une
grande prétention.
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- Ici, on est vraiment autorisé à se dire :
- « A l'impossible, nul n'est tenu ».
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- Cependant, pour voir, et parce que « impossible
n'est pas breton », j'ai voulu mesurer l'ampleur de mon
incapacité à faire quoi que ce soit pour l'enfant,
Maintenant, je suis fixé : sur le plan du
bégaiement, je ne peux, pour ainsi dire, rien. Cependant ma
recherche n'a pas été totalement inutile. Jugez-en
plutôt.
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- Cette année, à la rentrée, j'ai la
surprise de constater que ce garçon bégaie beaucoup
plus que l'année précédente. A la suite de
mon expérience Loïc, je me mets à scruter ses
textes. Rien que des textes d'imagination, un peu folleyant dans
les marges :
- « Les goélands et les cochons rigolent dans
le soleil vert. Et moi, je mange du riz à la
maison ».
- « Les goélands, les goélands, les
goélands,
- Les goélands vont dans les goélands.
- Et lui et lui et lui
- Et les goélands vont dans les
goélands ».
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- Au bout d'un certain temps, je discerne une constante :
la plupart des textes parlent de chute et de noyade. J'interroge
le garçon
- « Tu parles toujours d'eau. Pourtant, tu n'es pas
tombé à l'eau ?
- Si, quand j'avais quatre ans; je m'étais baigné
et une vague avait passé par-dessus moi. Et je n'arrivais
pas à sortir de là : l'eau rentrait dans ma
bouche mais je suis sorti quand même ».
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- La mère consultée ne se souvient de rien de
semblable ; mais elle confirme cette phobie de l'eau :
l'enfant ne se baigne jamais. Elle pense que cette histoire de
vague est imaginaire. Elle ne croit pas qu'il faille chercher la
solution de ce côté.
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- Alors cherchons ailleurs. Mais où ?
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- Soudain je pense au livre du Dr Tomatis - L'oreille et le
langage. Histoire de voir, une fois de plus, je tente une petite
expérience à l'aide d'un casque que je branche sur
la prise HPS du magnétophone CEL. Je crois discerner
quelque chose ; mais non, je me trompe. Gilbert Paris,
consulté, me donne des conseils et me signale aussi que je
risque de détériorer mon « transfo de
sortie ». Je tente tout de même encore une petite
expérience, rien qu'une, pour voir un petit peu. Mais je ne
discerne rien sur le plan de l'oreille directrice. Je demande
à l'enfant :
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- « Avec quelle oreille préfères-tu
entendre ?
-
- Il montre l'oreille droite et dit :
-
- - Celle-là me fait rigoler.
- Alors, c'est celle-là que tu
préfères ?
- Non, c'est l'autre. »
-
- Allez « travailler » avec un pareil
phénomène ! Je stoppe donc là les frais
en pensant qu'en matière de rééducation il
faut sans doute des écouteurs d'une très grande
sensibilité et il faut avoir, soi-même, l'oreille
très affinée. Heureusement d'ailleurs car si un
simple instituteur pouvait opérer des cures, le
spécialiste n'aurait plus qu'à aller casser des
cailloux sur la route.
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- Pourtant, un jour, en « dialogue à
deux », mon garçon imite son camarade sans
bégayer ; il récite et chante sans accroc et,
au cours des jeux dramatiques son élocution n'est nullement
troublée.
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- « Qui veut des biscottes ; qui veut des
cacahuètes ? »
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- Une conclusion semble devoir s'imposer : ce qui provoque
le dérèglement du système audition-phonation
n'est pas d'origine physiologique (fatigue, mauvaise digestion,
latéralisation inachevée) mais d'origine psychique.
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- Donc, à nouveau, je pense que je puis être utile.
D'ailleurs, s'il y avait quelque chose à faire, ce serait
le moment car, depuis 13 mois que je connais l'enfant, jamais il
n'a atteint ce point de bégaiement qui confine parfois
à la mutité.
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- J'incrimine un moment la télé qui exerce de tels
ravages chez les enfants fragiles.
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- Mais, un beau matin, après 25 jours de classe, je
trouve le texte suivant :
- « Michel voulait m'embrasser, j'ai sauté sur
les goélands, j'ai fait caca sur une bonne femme, je
rigole, la bonne femme est morte ».
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- Ça y est, j'ai trouvé. L'enfant « fait
une opposition à la mère ».
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- Aussitôt, je vais trouver celle-ci. je passe sur les
détails de l'entrevue qui nécessiterait à
elle seule un long développement.
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- Elle souffre de l'infirmité de son garçon et
elle est décidée à le mener au printemps dans
une école de rééducation. Mais, en attendant,
elle est prête à faire tout ce qui est en son pouvoir
pour améliorer l'enfant. Alors je lui propose de cesser
toute action pédagogique à la maison (lecture,
dictée, opérations) et de donner un peu de
liberté, d'indépendance au petit. je la revois trois
jours après.
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- - Oh ! je suis contente, cela va déjà
beaucoup mieux sur le plan du caractère.
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- Et, moi aussi, je suis content car j'ai obtenu le premier
texte libre objectif de l'année.
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- « Tous les jours, je vais chercher du lait avec
maman. Et j'emmène la pile et c'est joli avec la
lumière des poteaux. Et j'ai été à la
maison ».
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- Et depuis, il y a eu six jours de classe. Et il y a eu six
textes objectifs !
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- Qu'en pensez-vous, chers camarades ?
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- LE BOHEC
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