Georges Mathieu
un catalogue technique
et
une petite histoire non conventionnelle de l'électricité
Première page du catalogue "Transformateurs BC"
créé par Georges Mathieu dans les années 1960.
En 1966 Guy Biraud, alors PDG de la société "transformateurs BC" demandait à Georges Mathieu de concevoir un catalogue associant l'art et la technique. Il y a 50 ans, c'était très osé pour un catalogue technique, d'autant plus que quelques années plus tard, Georges Mathieu s'investissait totalement dans les dessins de la nouvelle usine de la société, tant dans l'architecture que dans les jardins, vaste tableau de 18000 mÃ. Cette usine a fait la une de nombreux journaux français et étrangers. Aujourd'hui elle n'est absolument pas "démodée", preuve d'une totale réussite architecturale. Par ailleurs, Mr Biraud, sur les conseils de Louis Pauwels, demandait à l'époque à Jacques Bergier (Le matin des magiciens) d'écrire une histoire non conventionnelle de l'électricité qu'il faut lire aujourd'hui avec intérêt, mais avec 50 années de recul.
En préambule du catalogue:
 
"Que mes clients et amis, ainsi que mes collaborateurs soient ici remerciés de la confiance qu'ils n'ont pas cessé de me témoigner au cours de ces vingt dernières années. Peut être est-ce la première fois que l'essai est tenté d'intégrer à un ouvrage technique l'art contemporain. J'exprime ma profonde gratitude au maître Georges Mathieu qui a bien voulu m'encourager dans cette difficile expérience. Si ses graphismes, et l'esprit non conventionnel du texte de Jacques Bergier, vous libèrent pendant quelques instants de l'aridité des chiffres, alors mon but sera atteint."
G. Biraud
Dernière page du catalogue "Transformateurs BC"
créé par Georges Mathieu dans les années 1960.

(Cliquez sur les illustrations pour les voir en grand)

Petite histoire non conventionnelle de l'électricité
 
S'il y a eu dans le passé des civilisations techniques aussi avancées ou plus avancées que la nôtre, elles ont certainement connu l'électricité; mais on ne peut pas en être sûr. La plupart des archéologues refusent l'hypothèse avec la plus grande énergie. Pour eux, notre civilisation technologique est la seule, l'unique.
 
Bornons-nous aux faits par conséquent. Dans le livre de Diogène Laerce, "Vie des plus illustres philosophes grecs de l'antiquité", on trouve des références à des expériences faites en l'an 600 environ avant JC par Thalès de Millet. Celui-ci a constaté que l'ambre, frotté, attirait les objets légers. La théorie de l'effet en question n'est toujours pas absolument claire.
 
R.P. Feynmann la reprend dans son récent cours de physique. Pourquoi un corps chargé attire-t-il un corps neutre? Celui-ci devrait se charger par induction de l'électricité de même signe et être repoussé. Feynmann donne une explication dont lui-même n'est pas sûr et qui est basée sur le gradient du champ électrique. Quoi qu'il en soit, Thalès de Millet paraît avoir fait sur l'électricité la première expérience dont on soit sûr. Avant, il y a les légendes.
 
Première légende
 
Un savant français, M. Maurice Denis-Papin (arrière-neveu de l'inventeur de la machine à vapeur) a cherché à donner corps à une des plus belles de ces légendes. Selon lui, l'arche d'Alliance des hébreux était un condensateur géant ! M. Denis-Papin se base sur le chapitre 25 de l'Exode: "Vous ferez une arche en bois de sétim, qui ait deux coudées et demie de long (1,25 m), une coudée et demie de large, et une coudée et demie de haut. Vous la revêtirez d'un or très pur dedans et dehors; vous y ferez au-dessus une couronne d'or qui régnera tout autour. Vous mettrez quatre anneaux d'or aux quatre coins de l'arche; vous ferez aussi des bâtons de bois de sétim que vous couvrirez d'or, et vous les ferez entrer dans les anneaux qui sont aux côtés de l'arche, afin qu'ils servent à la porter. Les bâtons resteront toujours dans les anneaux et on ne les en tirera jamais...". Les prêtres qui servaient l'Arche d'Alliance portaient des vêtements entièrement tissés de fils d'or, ornés de chaînes d'or traînant jusqu'aux talons. L'Arche était lumineuse et la foudre s'en échappait. Tout celà paraît plausible sans qu'on puisse en donner des preuves. Les fouilles en Israël donnent des résultats tellement extraordinaires que l'on trouvera peut-être un jour l'Arche d'Alliance ou un modèle.
 
Seconde légende
 
L'autre légende dit que les Etrusques connaissaient le secret de la foudre et pouvaient la lancer comme ils voulaient et où ils voulaient. Ils auraient ainsi foudroyé un montre qui, d'après la légende, s'appelait Volta (Cf. la remarquable histoire de l'Electricité de M. Pierre Devaux dans "Que sais-je" n°7, à qui il est fait de nombreux emprunts). Il existe une telle collection de ces légendes étrusques, que l'on est forcé de se demander s'il n'y a pas quelque chose: peut-être justement un résidu d'une technologie supérieure à la nôtre.
 
Certaines peuplades de l'Afrique Equatoriale paraissent avoir également de nos jours, le moyen de lancer la foudre sur un endroit précis. Cela mériterait une étude par des explorateurs objectifs. Peut-être des savants africains appartenant à un pays neuf vont-ils un jour résoudre le problème?
 
Les piles de Bagdad
 
Là nous sortons des légendes pour tomber dans quelque chose de plus sérieux.
Un allemand appelé König, ingénieur des travaux publics et qui s'occupait des égouts de Bagdad en 1937, trouva au Musée des Antiquités de la ville, dans une boîte marquée "divers", des objets qui paraissent bel et bien être des piles électriques. On en trouve un dessin en coupe dans l'ouvrage italien de Peter Kolosimo "Terra senza Tempo" paru aux éditions Sugare à Milan.
 
Il s'agit réellement de piles avec des électrodes de fer et de cuivre, un électrolyte de sulfate de fer et de l'asphalte comme isolant. Elles remontent certainement à la dynastie des Sassanides (226-630 après J.-C.). Avec ces piles, on a trouvé des objets recouverts d'or par galvanoplastie.
 
Le secret paraît avoir été jalousement gardé. Les prêtres qui avaient inventé et utilisé ces piles croyaient peut-être faire oeuvre d'alchimistes et transformer les métaux vils en argent, ou peut-être étaient-ils mieux informés que nous ne le croyons. Quoiqu'il en soit, l'invention ne parait pas avoir circulé. On ne trouve aucune description théorique, et le phénomène ne parait pas avoir été relié ni à la foudre ni a la propriété de l'ambre d'attirer des objets.
 
Il faudra maintenant attendre 1700 environ pour voir apparaître de véritables études sur l'électricité.
 
"Et pour leurs coups d'essai ils veulent des coups de maître"
 
Par contre, dès 1709, nous tombons sur un véritable génie multiple de l'électricité: Hauksbée. Celui-ci invente non seulement une machine mécanique pouvant produire de l'électricité par rotation d'un bloc de verre, mais encore un tube vide d'air qui devenait lumineux sous l'effet de l'électricité de haut voltage.
 
Un ancêtre des tubes à néon, il y a trois siècles ! Cela paraît invraisemblable, et c'est pourtant la stricte vérité historique.
 
Personne ne sait, par contre, pourquoi la machine de Hauksbée fut parfaitement oubliée. Il a fallu attendre notre époque et les remarquables travaux de Néel Félici à l'Université de Grenoble, pour que l'électro-statique ressuscite enfin. Pourquoi des inventions ont-elles du succès et d'autres disparaissent-elles? On ne peut donner aucune raison valable. Hauksbée aurait pu réaliser un éclairage électrique parfaitement efficient bien avant les précurseurs du XIXème siècle. S'il l'avait fait, des théoriciens se seraient penchés sur les phénomènes électriques dans le vide, et l'électron aurait été découvert un siècle plus tôt...
 
On pourrait s'imaginer des romans de science- fiction basés sur cette idée, et qui décriraient ce que serait devenue notre civilisation si l'électrostatique avait éclipsé l'électrodynamique.
 
Les écrivains de science-fiction comme Murray Leinster et James Blish, ont imaginé des civilisations de l'électrostatique sur d'autres planètes. Mais l'histoire hypothétique de notre planète, si Hauksbée avait été pris au sérieux, aurait pû être écrite. Elle le sera peut-être un jour.
 
En tout cas, après Hauksbée, l'électricité statique devient très populaire. Comme le dit d'ailleurs très justement Pierre Devaux, c'est l'époque de l'électricité mondaine. Feuilletons un de ces in-octavo naïvement illustrés, où nos pères ont conté la science de nos grands-pères. Un abbé tourne la manivelle d'une grande machine électrostatique, tandis qu'une belle dame à paniers appuie ses mains sur le globe de verre pour l'électriser; un jeune homme, suspendu horizontalement au plafond par des cordons de soie, tient ses pieds contre le globe d'une machine que tourne également un abbé; de sa main étendue, il touche la main d'une jeune personne en petit corset et jupe évasée, qui présente son autre main au-dessus d'un plateau semé de brins de paille: Oh, merveille... les fûts s'élèvent et dansent sous l'action mystérieuse du fluide. Passe encore pour la jeunesse: mais voici un seigneur en habit et justaucorps, bas blancs et souliers à boucles, juché sur un gâteau isolant de résine; d'une main, il tient une baguette qui frotte contre le globe d'une machine tournée par deux laquais; de l'autre, il présente son épée nue au-dessus d'une cuiller emplie d'esprit de vin, tenue par une dame respectable: l'esprit de vin, évidemment, s'enflamme, et la dame respectable lève la main d'un air émerveillé... Ce n'est plus une expérience, c'est un tableau vivant!
 
L'électricité statique s'endort, l'électricité dynamique se réveille
 
Après le feu d'artifice de la fin du XVIIIème siècle, l'électricité statique devait tomber dans un sommeil dont elle ne s'est réveillée que de nos jours.
 
Par contre, on assiste au départ foudroyant de l'électricité dynamique, le courant électrique. On peut discuter longuement les causes de ce départ. Il est probable que le développement des mathématiques y est pour quelque chose.
 
Le rapport entre l'électricité et le magnétisme était soupçonné depuis longtemps, mais il fallait les mathématiques modernes pour l'analyser. Sans le calcul différentiel et intégral, les études sur le courant électrique n'auraient pu se développer, et les applications encore moins.
 
D'autre part, les découvertes de Volta et Galvani, de Wollaston, ont fourni des sources d'électricité: les piles transformant l'énergie chimique en énergie électrique par un mécanisme qui, de nos jours encore, n'est pas parfaitement compris, donnent en tout cas des sources importantes pouvant débiter plusieurs ampères.
 
Le nom des piles a subsisté, bien que les éléments ne soient plus empilés en colonnes. Il a été attribué, pour les mêmes raisons, aux piles atomiques qui elles aussi produisent de l'électricité, mais pas directement.
 
Le nom "batterie" est employé indistinctement pour les piles ordinaires et réversibles, ou accumulateurs. On cherche toujours des accumulateurs d'électricité meilleurs que les piles réversibles, mais on ne les a pas trouvés. Par contre, le progrès aidant , on envisage actuellement des piles à combustible, brûlant de l'hydrogène, du gaz butane ou même de l'essence automobile, et produisant des quantités considérables d'énergie.
 
Notons qu'un sous-marin de poche sur piles, a évolué le long des côtes américaines. L'automobile électrique, l'avion électrique, sont peut-être pour demain. Mais revenons à l'ordre historique.
 
Le folklore ampérien est considérable, et de nos jours encore on procède, dans les écoles d'électricité, à la cérémonie d'enterrement du bonhomme d'Ampère qu'on enterre, bien entendu, au champ magnétique.
 
Mais par-delà le folklore, il faut voir l'immensité de la découverte: Ampère pour la première fois montrait la réalité fondamentale que l'on appelle maintenant le tenseur électro-magnétique, et dont l'électricité et le magnétisme ne sont que deux aspects, deux aspects en quelque sorte à angles droits.
 
Sur le plan pratique, Ampère montra qu'on peut multiplier les effets électro-magnétiques en enroulant autour d'un axe de fer des fils conducteurs isolés. C'est la base de l'électro-aimant dont dérivent directement aussi bien le métro que le téléphone, que les moteurs électriques et le télégraphe électrique.
 
Faraday devait montrer, un peu plus tard, qu'en prenant un barreau aimanté, en le plongeant dans une bobine, on produit un courant et qu'un autre courant se produit lorsqu'on retire le barreau. C'est la fameuse induction électrique.
 
Si, au lieu d'un mouvement alternatif, on fait un mouvement rotatif, on obtient la dynamo ou l'alternateur. On commençait à entrevoir les applications de l'électricité mais d'une façon vague et comme dans un miroir obscur.
 
Presqu'un siècle après Ampère, un des grands ricaneurs de l'histoire, l'Américain Ambrose Bierce, écrivait dans "le dictionnaire du diable": "L'électricité c'est la force inconnue qui explique tout ce qui n'est pas expliqué par les autres forces inconnues. Elle va beaucoup plus vite qu'un bec de gaz et éclaire mieux qu'un cheval !".
 
Les applications de l'électricité ont surpris tout le monde, sauf Jules Verne. Les gens sérieux écrivaient: "L'électricité est-elle en état de remplacer la vapeur comme force motrice? Le moteur électromagnétique pourra-t-il se substituer un jour à la machine à vapeur? On s'est quelque temps flatté de cet espoir, mais l'expérience et la théorie sont venues le renverser. Ecarter les inventeurs et les praticiens d'une entreprise chimérique, c'est souvent leur rendre un signalé service. Seulement il faut, pour porter un tel jugement, pour justifier une telle conclusion, se baser sur un examen rigoureux de la question, au point de vue historique, expérimental et théorique. C'est ce que nous allons faire rapidement dans cette notice. (Référence: "Les Merveilles de la Science" par Louis Figuier, t. II, p. 385.).
 
A vrai dire, même en 1966, on ne se rend pas entièrement compte des possibilités de l'électricité. Lorsque l'accu léger et les piles à combustible permettront des applications allant du briquet électrique à l'avion électrique, et de l'auto électrique à la maison entièrement électrifiée loin de toute source de courant, tout le monde sera extrêmement surpris.
 
Il a fallu un amateur, fabricant des râpes de bois, Xénobie Gramme, pour mettre au point la dynamo. Il a fallu qu'une dynamo soit montée à l'envers en 1873, à l'Exposition d'Electricité de Vienne, pour qu'on découvre d'une façon absolument accidentelle aussi bien le moteur électrique que les transports d'électricité par fil.
 
Le centre de gravité de recherches se transporta vite aux Etats-Unis. Joseph Henry eut l'idée du télégraphe et de l'amplification du courant télégraphique par relais.
 
Il aida un excentrique, fanatique religieux et artiste, Samuel Morse. Celui-ci, en 1844, construisit le premier télégraphe et inventa le fameux code Morse, système de traits et de points, anticipation du code binaire des machines modernes.
 
C'était déjà une application pratique. Mais l'invention de la dynamo, de l'alternateur, des premiers arcs et ampoules électriques, montra que les applications étaient nombreuses. Deux formes d'énergie électrique étaient en présence: le courant continu et le courant alternatif. L'alternatif avait l'avantage d'être transformé et de pouvoir être transmis à un voltage plus élevé et avec des pertes plus faibles. Alors commença un duel épique qui devait durer presque jusqu'à la fin du XIXème siècle.
 
Alternatif contre continu
 
Le continu était défendu par Edison, le plus grand inventeur de tous les temps, et un des plus farfelus. C'était l'empirique même, ne tenant compte d'aucune espèce de théorie, et qui inventait aussi bien l'ampoule électrique ou le phonographe qu'un téléphone pour communiquer avec les morts.
 
Son adversaire, grand partisan de l'alternatif, le Yougoslave naturalisé Américain Nikola Tesla, était encore plus fanatique et plus lunatique qu'Edison lui-même. Tesla portait constamment un fez rouge, et parlait aux pigeons dans leur propre langue. Ils lui répondaient d'ailleurs. Tesla était soutenu financièrement par Westinghouse, l'homme des freins de chemin de fer. Les intérêts Edison décidèrent de frapper l'opinion publique. Ils fabriquèrent une chaise électrique marchant sur l'alternatif, et l'offrirent gratuitement à l'Etat de New York. Quelques criminels furent exécutés. Après quoi les intérêts Edison commencèrent une grande campagne de presse: "Voulez-vous que la mort rentre chez vous ? Alors, utilisez le courant alternatif: on s'en sert pour électrocuter les criminels ! ". Malgré cette brillante publicité, l'alternatif triompha en 1893, car la compagnie Westinghouse obtint l'autorisation et le contrat d'utiliser les chutes du Niagara pour produire de l'alternatif.
 
Elle engagea comme conseil le physicien Rowland, qui lui fit ensuite un procès. A ce procès, on demanda à Rowland de prêter serment sur la Bible, de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Une fois le serment prêté:
" Professeur Rowland, pouvez-vous nous dire quel est le plus grand expert du monde en électricité ? "
-- " Moi " - répondit Rowland avec une charmante modestie.
 
Les mystères du transformateur
 
Si l'alternatif tuait mieux que le continu, il était aussi plus mystérieux. Des phénomènes extraordinaires se produisaient dans les lignes qu'il parcourait. Pendant environ dix ans, de 1881 à 1891, l'illustre ingénieur O.T. Blathy, inventeur du transformateur, fut seul capable de calculer la distribution des courants dans un réseau électrique. Quand il divulgua son secret, on s'aperçut qu'il s'agissait des équations de Kirchhoff, parues en 1845. Finalement, le problème fut débrouillé mathématiquement par Charles Steinmetz, mathématicien et physicien, employé par la General Electric Company, et qui fut probablement le premier véritable savant au service de l'industrie.
 
Lumières électriques
 
La division de la lumière électrique, c'est-à-dire la production des sources de lumière électrique plus petites qu'un arc et plus maniables, fut considérée au milieu du XIX ème siècle comme une utopie.
 
Les experts avaient démontré que la lampe à incandescence était impossible.
 
Edison ne croyait pas aux experts et ne comprenait d'ailleurs pas les mathématiques. Il procéda lui-même à des expériences. En 1878, à l'âge de 31 ans, il annonça qu'il approchait du succès. Les actions des compagnies de gaz tombèrent aussitôt en chute verticale à la Bourse de New York comme à la Bourse de Londres.
 
Le 20 octobre 1879, il arriva à faire brûler une lampe à incandescence, dont le filament était du fil de coton carbonisé, pendant 48 heures. La veille du Nouvel An, il illumina une rue. Parallèlement, la lampe à incandescence avait été mise au point par l'Anglais Joseph Swan.
 
Jusqu'à 1910, la lampe à filament de carbone domina le marché. En 1910, Coolidge remplaça le carbone par le tungstène. En 1913, Langmuïr introduisit un gaz neutre dans l'ampoule. Puis vinrent les lampes à fluorescence qui elles-mêmes furent remplacées assez vite pense-t-on par des lampes à électroluminescence basées sur un effet inventé en 1936 par le Français Georges Destriau.
 
L'incandescence donnait des sources sensiblement ponctuelles. La fluorescence donnait des sources linéaires. L'électroluminescence produisait des surfaces lumineuses de n'importe quelle couleur et avec un très bon rendement. Pour le moment, ces sources ne sont pas encore extrêmement lumineuses, mais elles s'améliorent très vite, et les plafonds électroluminescents constituent probable-ment l'avenir de l'éclairage électrique. Après quoi, vers la fin du siècle probablement, celui-ci disparaîtra pour être remplacé par la phosphorescence: des substances absorbant l'énergie solaire le jour et la réemettant la nuit. L'électricité, avec la lampe à incandescence et le moteur, s'introduisait partout.
 
Mais quelle en était la nature? En quoi consistait-elle? L'explication allait être donnée dès la fin du XIX ème siècle.
 
William Crookes et ses fantômes
 
L'homme qui allait expliquer la nature de l'électricité était un physicien éminent mais porté sur le surnaturel. Il s'appelait William Crookes. On peut être, à juste titre, extrêmement sceptique sur la nature des fantômes que Crookes avait observés. D'après les travaux les plus récents sur le sujet, il s'agirait d'une histoire bien humaine et assez triste: Crookes serait tombé très très amoureux de la jeune fille qui faisait le médium, et il serait devenu son complice, signant n'importe quoi sur les procès verbaux pour passer avec cette jeune personne un bon moment dans l'obscurité. Mais ces occupations ont tout de même fortement ancré dans l'esprit de Crookes l'idée qu'il devait y avoir un quatrième état dans la matière: un état plus tenu encore que l'état gazeux. Il découvrit le corpuscule responsable de cet état, en étudiant de nouveau la décharge dans le vide qui avait été un peu abandonnée des physiciens. Le chimiste Johnson Stoney proposa, pour le nouveau corpuscule, le nom d'électron. On a établi par la suite que tous les noyaux atomiques étaient entourés de colonnes d'électrons, et que l'électricité était un déplacement d'électrons, du pôle moins au pôle plus en sens contraire de ce qu'on écrivait d'habitude. On perfectionna ensuite cette représentation lorsqu'on découvrit que dans les électrolytes il y avait un déplacement, non seulement d'électrons, mais d'atomes ayant perdu un électron ( ion positif ), et que dans les solides il pouvait y avoir un déplacement non seulement d'électrons, mais de niveaux d'énergie vides sans électrons ou trous. C'est comme un flot constant d'automobiles où, pour une raison quelconque, il y a une place libre qui se déplace avec le flot.
 
La théorie des trous devait rendre possible le transistor.
 
Naissance et gloire de l'électronique
 
Une fois l'électron découvert, il fallait encore en produire. Pour des raisons que l'on ne connaît pas, même maintenant, les oxydes alcalino-terreux chauffés dans le vide produisent et émettent de véritables torrents d'électrons. La découverte de ce phénomène, en 1912, rendit possible les cathodes à oxyde, et ceci permit de construire les lampes de réception et d'émission; la radio était née. On a mis du temps à en comprendre l'intérêt.
 
Dans une histoire des sciences, qui a eu le prix de l'Académie des Sciences en 1917, l'auteur, M. Berteaux, explique que le téléphone sans fil n'a aucune espèce d'intérêt puisque tout le monde peut entendre ce qu'on dit, et que les secrets des communications ne peuvent plus être protégés.
 
Le malheureux auteur ne se rendait pas compte que justement le fait que tout le monde pouvait entendre, puis plus tard voir, tout ce qui se produisait à l'instant de l'émission, allait rendre possible l'énorme industrie électronique.
 
Nous approchons très vite du point où tout habitant de la terre aura un poste récepteur de T.S.F. . On étudie actuellement, pour les pays insuffisamment développés, des petits postes que l'on compte fabriquer par centaines de millions, et dont le prix de revient ne dépassera pas cinq francs !
 
Pour plus tard, on envisage l'attribution d'une longueur d'onde à chaque habitant de la Terre, et la multiplication des moyens de télécommunication permettent de relier instantanément tout possesseur d'un poste avec les deux milliards d'autres usagers. Les satellites artificiels, et probablement les lasers, seront largement utilisés pour créer ce monde nouveau.
 
David Sarnoff, le président de la Radio Corporation of America, envisage même de demander aux Nations-Unies de considérer le droit de chaque citoyen du monde à sa longueur d'onde comme une des libertés essentielles. Aux Etats-Unis, l'attribution de longueurs d'ondes à diverses sociétés privées s'occupant de radio, de télévision et de télé-communication en général, déchaîne déjà des bagarres politiques considérables.
 
Et on parle de journaux imprimés à domicile par télé-fac simile et concurrençant la presse imprimée...
 
Mais l'électronique ne se borne pas aux télé-communications de tous genres. Elle va plus loin.
 
Un inventeur méconnu: François Dussaud
 
Un jour, avant guerre, une automobile sans pilote décrivit un trajet compliqué dans la cour de l'Académie des Sciences à Paris. La presse consacra à l'évènement trois lignes: c'était pourtant le début de l'automation. François Dussaud, qui avait réalisé cette automobile, avait également inventé le pick-up ou électrophone. Son nom devrait être très largement connu, mais un oubli injuste l'a effacé des mémoires. L'idée géniale de François Dussaud: la commande par enregistrement, devait conduire à la mise au point d'un grand nombre de "robots". Couplés avec des machines à calculer électroniques, les dits robots pilotent des avions, dirigent des usines, maintiennent en orbite des satellites. L'automation commence seulement à se développer pour le bien comme pour le mal, uniquement et surtout grâce à l'électricité, à l'électro-aimant, aux petits moteurs électriques.
 
Sur le plan humain et social, le grand syndicaliste Américain Walter Reuther a brillamment résumé la situation. Comme on lui montrait, dans la cour de Ford, des machines totalement automatiques qui venaient d'arriver, et comme un des directeurs lui disait:
 
-- " Eh bien, ces braves robots ne vont pas faire la grève, eux ! "
 
Le grand syndicaliste de répondre:
 
-- " Et vous ne leur vendrez pas de voitures non plus ! "
 
L'automation devra être contrôlée. Elle va certainement libérer l'homme de certaines tâches lourdes, dangereuses, extrême-ment ennuyeuses. Si elle est introduite trop vite, elle peut présenter un indiscutable danger.
 
Cerveaux électriques: vers la pensée artificielle
 
On a fait beaucoup de bruit autour de la toute dernière application de l'électricité: les machines à traiter l'information. On a dit même que ces machines pensaient. Il y a là un bluff qu'il faut dissiper: tout lecteur de cette petite histoire est familiarisé avec un plomb qui saute. Un plomb est un élément qui peut répondre à deux questions: Y a-t-il une trop grande intensité dans le circuit ? Que faire pour le couper ? Mais le plomb n'est pas intelligent pour celà. Celui qui est intelligent, c'est celui qui l'a fabriqué, et une machine électrique à traiter l'information n'est qu'un ensemble de circuits de ce genre, capable de choisir entre deux réponses à une question. On peut appeler ce circuit: "Unité d'information", Flip-Flop", "Bits", celà ne change rien au fait qu'il s'agit simplement d'assemblages compliqués n'ayant rien à voir avec le cerveau humain, et ne pouvant en aucune façon l'imiter. Et il ne semble pas y avoir de pensée artificielle. L'électricité est quelque chose de parfaitement bien compris: un flux de corpuscules dans un solide, un liquide ou un gaz. Elle n'a rien à voir ni avec les forces vitales mystérieuses, ni avec les phénomènes qui se déroulent dans notre cerveau. Ce sont là des mythes, et des mythes nuisibles. Comme le dit très justement Pierre de Latil: "Il faut tuer les robots". ( C'est le titre d'un livre que Latil a publié aux Editions Grasset, dans la collection "Bilan d'un mystère". ).
 
Electricité et atome
 
L'histoire de l'électricité est aussi celles de l'atome. Mais comme disait Kipling, "c'est une autre histoire".
 
L'atome fut brisé artificiellement, pour la première fois, en 1931 par Cockroft et Walton. Ils utilisaient un générateur électrostatique avec des condensateurs en séries parallèles. Une course au haut voltage commençait. Van den Graaf, en 1935, mettait au point de très grands générateurs électrostatiques qui sont encore utilisés. Mais, dès 1932, Lawrence avait montré qu'on a tout intérêt à faire tourner une particule en rond, et à taper dessus chaque fois qu'elle passe, plutôt que d'essayer de l'accélérer en une seule fois.
 
Ce fut le principe du cyclotron, puis des accélérateurs de particules modernes, formidables usines électriques.
 
Pour le moment, les accélérateurs de particules sont les machines électriques les plus compliquées, les plus coûteuses, les plus extraordinaires. On arrive, avec elles, à pénétrer au-delà de la particule élémentaire et à démontrer que l'électron, le proton, le neutron sont des univers possédant une véritable structure.
 
On arrive à fabriquer des anti-particules: anti-protons, anti-neutrons, qui s'annihilent au contact de la matière ordinaire, ainsi que des particules nouvelles qui se multiplient de plus en plus.
 
Ce sont des mondes entièrement nouveaux qui s'ouvrent au-delà de l'électricité ordinaire, au-delà même de l'atome.
 
A côté des accélérateurs de particules, l'électricité fournie par les piles paraît bien prosaïque. Pourtant, en France, en Grande-Bretagne, en U.R.S.S., aux U.S.A., de l'électricité atomique est injectée dans les secteurs, et vient allumer les lampes ou faire tourner les moteurs.
 
Les accélérateurs de particules consomment de l'électricité et rapportent du savoir.
 
D'ailleurs, plus ils deviennent importants, et moins ils rapportent.
 
On a tracé des courbes montrant qu'à mesure que l'énergie des particules augmente, la quantité de particules diminue, alors que le prix de l'appareil monte allègrement à la verticale vers l'infini.
 
Certains physiciens en ont conclu que bientôt on en arrivera à des accélérateurs géants consommant toute l'électricité produite par une nation, mais ne produisant eux-mêmes aucune particule !
 
Ce serait de purs monuments à la gloire de la science, l'équivalent, à notre époque, des Pyramides. A propos de Pyramides, qu'il me soit permis de rappeler ici la forte parole de François Le Lionnais:
 
" La forme même des Pyramides est là pour nous prouver que dans l'Ancienne Egypte aussi les ouvriers travaillaient de moins en moins. "
 
Conclusion
 
Nous voilà au bout de cette petite histoire de l'électricité. Que faut-il lire pour en savoir davantage?
 
Bien entendu l'histoire de l'électricité de Pierre Devaux ( Que sais-je n°7 ) auquel j'ai fait tant d'emprunts.
 
Une bibliographie complète de l'histoire de l'électricité compterait des centaines de volumes. On consultera avec agrément "Les merveilles de la Science" de Louis Figuier (Furn Jouvet, Paris 1868) pour tous les évènements antérieurs à 1850 environ, excellent auteur documenté, parfois naïf, toujours entraînant. Un ouvrage curieux et presque introuvable "Le Vieux Neuf" d'Edouard Fournier (Dentu, Edition de 1877), est une véritable mine de curiosités scientifiques. Sur Ampère littérateur, on consultera l'ouvrage de M. Louis de Launay, "Le grand Ampère" (Perrin, 1925), sur d'Arsonval, le livre du Dr Chauvois "d'Arsonval, soixante cinq ans à travers la science" (Oliven, 1937). Pour l'électrotechnique moderne, il y a intérêt à se reporter aux parties élémentaires du Cours d'électrotechnique générale de Paul Janet, professé à l'Ecole Supérieure d'Electricité.
 
Et si on veut après cela se tourner vers le futur, je recommande "Profil du Futur" de Arthur C. Clarke (Encyclopédie Planète) et "Inventons le Futur" par Denis Gabor (Plon).

Jacques Bergier 1962


des liens vers Georges Mathieu

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